La crise du Covid-19 : une chance pour le train de nuit ou le clap de fin des couchettes ?

C’est un fait connu: le Covid-19 a terrassé l’ensemble du secteur des transports sans exception, avec une demande réduite de 90 à 100 % d’Air France à Flixbus en passant par Blablacar, uniformément laminés par l’arrêt de leur activité principale.

Au même titre que les autres moyens de déplacement, les trains de nuit européens ont été mis en pause un peu partout depuis mi-mars.

Face à cet effondrement général, les trains de nuit ne pèsent pas très lourd : ils ne représentent aujourd’hui plus qu’un voyage sur 500 des 220 M voyages longue distance des Français chaque année. Plus encore que dans d’autres pays d’Europe, l’offre française de trains de nuit, autrefois importante, s’est en effet rabougrie sous le triple assaut de l’avion, de la voiture et de la priorité donnée par l’opérateur national au TGV.

Mais la crise du Covid-19, source par ailleurs de tant de malheurs, est peut-être l’occasion de se pencher sur ce que le train de nuit peut nous apprendre en matière de distanciation, et là où il est condamné à la réinvention et à l’innovation.

Le compartiment : un avantage pour la distanciation sociale

Pendant la longue sortie de crise, tous les transports collectifs vont avoir besoin de regagner la confiance des utilisateurs, sous peine de renforcer l’attrait de la voiture individuelle, cocon et refuge.

La difficulté est qu’à l’exception notable des trains de nuit, les modes de transport collectif ont tous évolué vers une disposition dite « à l’américaine », avec une grande salle unique avec une allée centrale desservant des rangées de sièges, impliquant un brassage permanent entre passagers. Tous… sauf le « village gaulois » du train de nuit, qui a conservé une organisation par compartiment, principalement faute de renouvellement du matériel roulant pendant les dernières décennies.

L’avion (un 737-800 d’United Airlines) :

United 737-800 floorplan - courtesy of https://www.united.com/ual/en/us/fly/travel/inflight/aircraft/737-800.html

Le train de jour (un TGV Atlantique) :

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Le car longue distance :

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Au contraire des autres modes de transport, les matériels roulants des trains de nuit en Europe ont le plus souvent 10 à 12 compartiments séparés par des murs et fermés par des portes. On est donc en présence d’une multitude de cellules, chacune partagée par bien moins de monde que les 50 à 150 personnes d’une cabine d’un car, d’un train ou d’un avion :

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Le train de nuit, avec ses compartiments issus du fond des âges (en pratique, leur âge d’or a été de 1950 à 1980), pourrait-il alors finalement être le moyen de transport longue distance collectif protecteur par excellence répondant aux exigences sanitaires de 2020 ?

L’impossible distanciation sociale au sein d’un compartiment à couchettes

Les compartiments avec couchettes des trains de nuit ne sont pas, en l’état actuel, d’une grande utilité pour un strict respect des règles.

En effet, ces compartiments, qui sont le cœur de l’offre de trains de nuit en Europe depuis 1950, proposent quasiment tous 6 places, avec 3 niveaux de lits superposés répartis autour d’un couloir perpendiculaire à la marche. Ces 6 places sont parfois transformées en 4 places dans une « première classe » légèrement moins dense, mais on reste dans un espace d’une superficie le plus souvent d’un peu moins de 2 m².

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Quelques points sautent aux yeux :

  • La distance entre les couchettes de même niveau est par nécessité restreinte, étant en général de 50 à 70 cm.
  • Le compartiment est partagé pendant de nombreuses heures, puisque l’horaire de voyage est calculé pour durer toute une nuit (rien ne sert de déposer le client trop tôt à son arrivée)
  • Le port du masque pendant que l’on dort la nuit n’est pas vraiment facile ou confortable.

Il y a donc un vrai problème à respecter une vraie distanciation au sein d’un compartiment à bord des trains de nuit actuels, sauf à privatiser les cabines au profit d’un individu ou d’une famille.

Ceci est parfois possible chez les opérateurs existants, moyennant un surcoût qui peut se révéler important. Chez Thello, il faut réserver l’ensemble des couchettes du compartiment. A la SNCF, ce service est offert « à partir de 40 € et n’est pas accessible lors de période à forte affluence » : il n’est donc en réalité plus proposé dès qu’il y a du monde dans le train.

Privacy by design

Le principe même d’un compartiment regroupant 6 passagers, souvent des inconnus, dans une unique cabine a sans doute fait son temps.

Bien au-delà de l’actuelle crise du Covid-19, l’attente de ne pas partager son espace de sommeil avec des étrangers est une attente des usagers, pour des raisons allant de la sécurité à la tranquillité, en passant par les considérations de santé et de salubrité.

Alors que les auberges de jeunesse abandonnent les dortoirs et se dotent de chambres individuelles, les trains de nuit resteront-ils les dernières auberges de jeunesse ?

ÖBB ne s’est pas trompé, en n’incluant pas de cabines à 6 places dans sa modeste commande de nouveaux trains de nuit à Siemens, en proposant de nouveaux concepts d’espaces privatifs individuels inspirés, semble-t-il, par les « capsule hotels ».

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*Manifeste pour un nouveau train de nuit

Nous retenons des réflexions autour des séquelles possibles du Covid-19 cinq points qui nous semblent devoir guider toute conception à l’avenir de nouveaux trains de nuit.

  1. La société est devenue plus avide de « privacy »: il faut pouvoir dresser un écran entre soi et les autres passagers, sauf s’ils font partie de son groupe d’intimes (famille, co-voyageurs, compagnons de voyage choisis)
  2. A bord d’un train, l’espace est un luxe : il faut donc l’allouer avec parcimonie, quitte à donner moins à chacun.
  3. Chacun vit de différentes manières à différents moments : on doit malgré tout pouvoir faire communiquer les espaces ordinairement clos si les circonstances le demandent.
  4. Les espaces communautaires d’un train de nuit ne doivent pas disparaître, mais ils doivent être un lieu de sociabilité choisie et non subie.
  5. Enfin, il se passera beaucoup de choses pendant la durée de vie d’un train : il faut que sa conception puisse accommoder le changement.